Faites péter l’élastique !

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J’ai relu pendant les vacances quelques passages d’un livre que j’avais trouvé dans d’étranges circonstances. Un été, je me promenais avec des amis dans les hauteurs d’Aubusson dans la Creuse, et nous avions décidé d’explorer le manoir abandonné qui dominait la ville. Le bâtiment était délabré, une partie avait brûlé et le reste était en ruines.

Après avoir monté les marches du grand escalier qui menait à l’étage et joué avec la ruine de piano qui se trouvait sur le palier, j’arrivai dans une pièce où gisaient de vieux magazines du front national et un livre. J’imaginais les anciens propriétaires profiter de leur grande demeure autour d’un banquet de gibier, gloutonnant leur trophée de chasse en déversant leur lot d’injures racistes sur les quelques immigrés du village. Le livre commençait à tomber en poussière et j’éternuai en le prenant dans mes mains : « La doctrine suprême ». Je pensais avoir trouvé un livre oublié par quelque fanatique du troisième Reich dans sa hâte de quitter son manoir pour échapper à la justice.

Les pages n’avaient pas été coupées et ce livre d’une cinquantaine d’années s’apprêtait à finir sa vie sans avoir jamais été lu et dans un endroit où il ne pouvait qu’être malheureux. Ce que je prenais pour un livre nazi était en fait une étude du bouddhisme Zen par un psychologue occidental. Le titre complet affiché sur la première page était : La doctrine suprême Réflexions sur le bouddhisme Zen par Hubert Benoit.

Il m’attendait. Au coeur de la campagne française, dans un manoir en surplomb de la Creuse, étouffant sous la poussière et les revues d’extrême droite, m’attendait un livre vierge, fruit de l’approche occidentale et orientale de l’ Être.

Il y a quelques jours, ce livre m’est revenu en tête sous la forme d’une métaphore.

Quand nous restons à proximité du piquet auquel nous sommes attachés, nous avons l’illusion d’être libres. Nous pouvons bouger, courir, sauter. Mais lorsqu’il s’agit d’atteindre un but tel que devenir acteur, devenir réellement libre, et que l’on se met à courir vers ce but, l’élastique se tend. Au départ on peut courir vite, l’élastique est encore souple et on a l’impression que l’on arrivera facilement, mais à mesure que l’on avance, l’élastique se tend et notre progression devient plus lente. Jusqu’au moment où l’élastique est tendu à son maximum et qu’on a l’impression de ne plus avancer.

Il y a ceux qui se relâchent à ce moment, et il y a ceux qui continuent de tirer. Et imperceptiblement, quelque part le long de cet élastique, le caoutchouc se fendille…